artiste/ Gros
France
« Des corps puissant jaillissent de la matière, tels des êtres ancestraux enracinés dans les abysses de la terre. Sans visages, ils exhibent leur chair minérale, dense et pourtant vulnérable, pétrie des griffures du temps. Une carnation façonnée comme du cuir, qui offre au touché un velouté similaire. Les pigmentations lézardées s’entremêlent, dans des gestes ébauchés, des murmures morcelés. Observé de près, l’épiderme se métamorphose en un paysage mouvant, tout en bruissement sourds et en lignes ébauchées. Des monts, des vallées et des rivières se devinent sous le dépouillement apparent, gorgés de matière, nourris de lumière. Ces panoramas vus du ciel révèlent leurs contrées de froideur et de chaleur, leurs tourmentes et leurs accalmies. Une géographie de la mémoire originelle, où les émois de la chair se conjuguent avec les éléments naturels.
Quelquefois, les corps s’assemblent, appâtés comme des aimants. Mais s’ils paraissent se fondre dans une fusion silencieuse, ce n’est qu’une illusion. Comme une frontière, un trait sombre les sépare, le rapprochement révélant l’altérité, la distance inexorable. Les étreintes se muent en tensions des lignes, en luttes des énergies. La peau se plisse ou se tend, s’écorche et se brûle. Derrière les confidences et les enlacements, se tapissent les lares et les cris. Sous un orangé flamboyant ou un rose violacé, la paix apparente se fissure, dévoilant les dissensions et les ruptures. Les chairs bataillent se rebellent, dans un combat que l’on sait perdu d’avance. Inéluctablement, elle se disloquent et se désincarnent, puis se recomposent dans un éternel recommencement. Ocres terreux et gris minéraux renvoient les corps à leur destin, consacrant la suprématie de la terre. Etienne Gros laisse s’écouler le cycle de la nature sans effroi ni colère. La puissance découvre l’impuissance, la force se mue en faiblesse et la paix renaît, comme si de rien n’était. »
Diane Galbaud du Fort